Il aurait pu être question de géopolitique, d’environnement ou de technologie de rupture. Pour le premier focus de Signaux Faibles, c’est un thème en apparence moins stratégique qui sera pourtant mis en avant ici : le jeu vidéo, et en particulier un jeu, Fortnite.
Pourquoi donc s’intéresser à un jeu vidéo lorsque l’on n’est pas soi-même joueur, ni proche de cet univers qui peut légitimement laisser de marbre ?
Parce que Fortnite, phénomène de l’année avec plus de 200 millions de joueurs à fin novembre (en hausse de 400% par rapport à janvier), soit plus que le nombre d’habitants qu’un pays comme la Russie, constitue l’un de ces mouvements de fond qui préfigurent demain.
Un nouveau modèle
Comment expliquer l’ascension éclair de Fortnite, dont le mode de jeu phare dit « Battle Royale » (mélange de jeu de survie et de tir où cent joueurs parachutés sur une île s’affrontent jusqu’au dernier survivant) n’est sorti qu’en septembre 2017, et sa domination aussi massive dans le monde du jeu vidéo ?
« Ce qui rend Fortnite unique est son aspect très égalisateur : il est entièrement gratuit pour tous, sur n’importe quel appareil sur la planète. On peut y jouer sur les grandes consoles (Xbox, PS4, Nintendo Switch), sur PC, sur Mac, sur smartphones (Iphone, Android)… : pour la première fois en deux décennies, c’est réellement possible ! D’habitude, vous êtes condamnés à jouer avec vos amis présents sur la même plateforme ; ici, on peut jouer avec n’importe qui sur la planète, sans avoir à dépenser d’argent » explique un joueur.
Outre son ouverture multi-plateforme, le succès de Fortnite tient notamment à son modèle économique audacieux mais très efficace : le free-to-play, qui revient le plus souvent à la gratuité avec option d’achats. Les joueurs n’ont pas à payer pour jouer, mais peuvent acheter des améliorations pour leurs personnages, purement cosmétiques (costumes, danses…).
Fortnite a réussi un tour de force : 69% des utilisateurs actifs ont déjà effectué des achats dans le jeu, alors même que ces achats ne leur apportent aucun nouvel avantage stratégique. Plus fort encore : le panier moyen des utilisateurs ayant effectué des dépenses est de 85 dollars.
Mise à jour (30/12) : ces chiffres proviennent d’une étude très reprise mais il faut noter qu’elle s’avère fondée sur un échantillon de 1000 joueurs pour lesquels Fortnite est leur jeu vidéo principal. [via Ivan Gaudé]
Ce modèle est à l’opposé du « pay-to-fast » qu’utilisent des jeux comme Fifa ou Candy Crush, où dépenser est non seulement nécessaire pour jouer mais permet en outre d’accélérer sa progression dans le jeu, ce qui est parfois vu comme un déséquilibre injuste. Le modèle de Fortnite est astucieux dans la mesure où il ne fait payer que ses utilisateurs les plus satisfaits, qui vont accepter de payer pour, par exemple, améliorer le look de leur personnage, sans pour autant toucher à l’égalité des chances entre les joueurs.
Le jeu génère ainsi 250 millions de dollars par mois de revenus à l’entreprise (américaine) qui l’a conçu, Epic Games, dont la valorisation atteint 15 milliards de dollars. Au-delà de son éditeur, il tire tout un écosystème. Microsoft annonçait récemment une hausse de 36% de ses revenus liés à la vente de logiciels et services sur sa console Xbox. Pour la directrice financière de Microsoft, la moitié de cette hausse est imputable à Fortnite. Autre exemple : les joueurs de Fortnite étant nombreux à utiliser des casques-micros pour communiquer entre eux pendant les parties, les ventes des casques audios spécialisés ont bondi.
Dans le même temps, le succès de Fortnite fait perdre des milliards de dollars aux entreprises concurrentes : le cours de Bourse du géant américain Take Two (GTA, Red Dead Redemption 2…) a chuté de 25% ces deux derniers mois, et celui d’Activision-Blizzard (Call of Duty, Starcraft…) a plongé de 45% !
Fortnite assez fort pour faire plier Sony et contourner Google
« Depuis des décennies, des entreprises comme Sony, Nintendo et Microsoft fixent les standards de relations business avec les éditeurs de jeux. Puis Fortnite est arrivé ». (Matthew Gault)
La puissance de Fortnite s’est notamment manifestée cette année avec le rapport de force exercé par son éditeur, Epic Games, face à Sony puis Google.
Sony d’abord : le géant japonais, fabricant de la console PS4, a toujours eu pour habitude d’interdire la possibilité de jouer à un même jeu sur plusieurs plateformes (possibilité appelée cross-plateforme), dont celles de ses concurrents.
Suite à de nombreuses protestations de joueurs, mécontents de ne pas pouvoir utiliser leurs personnages sur d’autres plateformes, Epic Games a réussi le tour de force de faire plier Sony, qui a changé son fusil d’épaule fin septembre en autorisant le cross-plateforme pour Fortnite. Début septembre encore, le PDG de Sony lui-même affirmait qu’il n’en serait rien. Mais la pression des joueurs, symbolisée par le hashtag #BlameSony, aura eu raison de sa volonté.
Pour Daniel Joseph, auteur de multiples études sur l’économie des plateformes de jeux, Fortnite établit une nouvelle tendance parmi les concepteurs de jeux vidéo : « c’est un nouveau business model qui émerge. Sony était jusqu’ici la plateforme. Maintenant, c’est la plateforme qui laisse une autre plateforme opérer par-dessus elle, avec sa propre économie interne. Je pense que ça les a surpris, et qu’ils sont maintenant obligés de suivre ces changements ».
Le coup de maître le plus impressionnant d’Epic Games n’est pourtant pas celui-ci : il est surtout d’avoir réussi à outrepasser Google.
D’ordinaire, tout éditeur passe par le magasin d’applications de Google (Google Play) pour permettre aux utilisateurs de smartphones sur Android d’accéder à ses applications : en contrepartie d’être listée et de pouvoir être téléchargée sur Google Play, l’application doit s’acquitter d’une commission de 30% sur chaque achat.
Epic Games a décidé de ne pas faire lister Fortnite sur Google Play et d’inviter les utilisateurs désirant télécharger le jeu à se rendre directement sur son site, contournant ainsi Google et sa commission de 30%, jugée disproportionnée. Ce choix a constitué un pari commercial considérable mais a été permis par la puissance acquise par Fortnite en seulement quelques mois. Ce pari s’est avéré payant.
« C’est l’histoire la plus importante et la plus sous-estimée du monde business cette année », écrit ainsi le magazine FastCompany. « En ignorant allègrement Google Play, Epic a battu Google à son propre jeu. Avec un seul jeu à succès, un seul jeu méga hit, qui devrait rapporter 20 milliards de dollars de revenus en 2019, Epic Games a prouvé qu’un produit numérique peut encore se libérer » des chaînes des GAFA, jusqu’ici incassables.
L’éditeur veut maintenant aller plus loin : il a annoncé début décembre le lancement de son propre magasin d’applications de jeux vidéo, Epic Games Store. Le but : s’attaquer au magasin du géant du secteur, Steam, leader en Occident. Et de fait, Epic Games a mis les moyens de ses ambitions : en laissant 88% des revenus aux concepteurs des jeux, contre 70% à 80% maximum pour Steam, sa plateforme se présente comme un rival très sérieux pour Steam.
Bien plus qu’un jeu : un tiers-lieu
« Fortnite is not really a game about shooting people. It’s a game about escape. »
Les joueurs de Fortnite sont nombreux à témoigner d’un même sentiment : il s’agit plus d’une activité sociale et d’un lieu à part entière que d’un simple jeu de combat. « Ma fille utilise Fortnite comme lieu alternatif où elle peut construire plein de choses (au lieu de se battre) et papoter avec les copains de son frère en même temps » témoigne une mère de famille.
Un joueur analyse : « J’ai beaucoup joué à Fortnite cette année, et j’ai eu du mal à comprendre pourquoi j’aimais autant ce jeu. Il est sympathique, mais d’habitude les jeux multijoueurs m’ennuient parce que je suis constamment tué, parce que je n’ai pas le niveau pour lutter contre les joueurs hardcore ou parce que cela devient juste fade. Fortnite est différent, parce que l’important ne réside même pas dans le fait de jouer : c’est un endroit où nous nous retrouvons tous ensemble. »
Pour lui, « Fortnite est le nouveau lieu de rassemblement, qui remplace le centre commercial, le Starbucks ou le fait de déambuler en ville. C’est le nouveau salon, sauf qu’il propose tout un univers à explorer ensemble, peu importe l’endroit dans le monde où l’on se trouve ».
Beaucoup parlent ainsi de Fortnite comme d’un tiers-lieu – de l’anglais Third Place, qui fait référence, nous apprend Wikipédia, « aux environnements sociaux qui viennent après la maison et le travail. Il se rapporte à des espaces où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle ».
« Grâce à un ensemble de choix de conception astucieux, Epic Games a construit un véritable tiers-lieu numérique, un lieu de rencontre où les joueurs disposent d’une très grande autonomie pour mener les expériences qu’ils souhaitent » écrit un joueur qui compare cette expérience à celle d’un skatepark ou d’une plage de surfeurs : « Fortnite fournit un endroit sûr pour sortir, expérimenter, faire des bêtises. Être libre. »
Le jeu comme expérience sociale
Un père raconte : « Quand mes fils jouent à des jeux vidéo classiques, ils se concentrent surtout sur la tâche à accomplir. Quand ils sont sur Fortnite, l’ambiance est totalement différente. Ils jouent en ligne avec des groupes d’amis, discutent et établissent des plans à travers leurs casques-micros, et quand il est temps d’arrêter de jouer, ils nous racontent ce qu’ils ont vu et fait : un raid audacieux, un accident calamiteux. »
« J’y joue avec des amis : cela améliore l’expérience de jeu et augmente la joie que j’en retire » confirme Max, 18 ans. Le fait de jouer à plusieurs n’a certes rien de nouveau. Mais les jeux en ligne fonctionnent d’habitude différemment. Sur un jeu comme Call of Duty, le territoire est resserré, et chacun a en tête l’objectif, spécifique : abattre l’adversaire. Déambuler dans le temps et l’espace ne fait pas partie de l’expérience.
A l’inverse, Fortnite se joue sur une grande île, avec de larges espaces ruraux à explorer, des usines, des fermes…Les joueurs ont l’habitude de former des petites équipes, la coopération étant la meilleure méthode pour rester en vie. Dès lors, « parce que vous passez la plupart de votre temps à explorer et fouiller les maisons pour trouver des objets et des armes utiles, vous avez des temps morts où vous pouvez vagabonder et discuter. La conversation s’écarte souvent du jeu, de sorte que Fortnite – à la manière d’un skatepark – devient autant un espace social qu’un lieu sportif. J’ai entendu mes fils parler de devoirs, de bandes dessinées et de films. Ils vont aussi concevoir des expériences et acrobaties complexes. »
Le jeu rend du reste possible des rencontres et interactions avec des personnes du monde entier : « Vous pouvez choisir de former un groupe avec des inconnus. Récemment, j’ai passé une agréable soirée à parcourir la carte en voiture de golf avec un homme d’affaires espagnol et deux frères turcs ». Un autre joueur raconte : « j’ai probablement passé plus de temps à parler à mes amis à l’autre bout du monde par Fortnite que je ne les ai appelés par téléphone ces quatre dernières années ».
Notons cela dit que ces différents éléments ne sont pas novateurs pour autant : Fortnite est l’héritier d’une longue série de jeux qui ont mis en place les caractéristiques cités ici (large territoire à explorer, jeu multijoueurs en ligne, etc.) depuis près de vingt ans. Les concepteurs de Fortnite ont intelligemment exploité des idées pour la plupart inventées par d’autres avant eux.
Fortnite invite à déconstruire certaines idées reçues
Si Fortnite plait tant aux adolescents, c’est notamment parce que « l’esthétique du jeu en fait un lieu où vous pouvez échapper à vos parents » estime Kat Brewster, doctorante à l’Université de Californie. Un sentiment confirmé par d’autres : « pour mes enfants et un grand nombre d’enfants de leur âge, Fortnite est un endroit où ils se rendent avec leurs amis, et non avec papa-maman. Il remplit le même rôle que ces endroits pour adolescents que l’on connaissait dans les années 1970s et 1980s : salles de jeux vidéo, de jeux d’arcade, etc. »
Pour certains psychologues, comme la britannique Berni Good spécialiste de l’influence des jeux vidéo, Fortnite doit être vu comme un « bac à sable qui offre un grand niveau d’autonomie, ce qui est très attirant pour de jeunes gens en transition vers l’âge adulte ».
Faut-il regretter que ces adolescents ne sortent pas dans le monde réel ? La tendance croissante, notamment aux Etats-Unis, à surveiller en permanence ses enfants (notamment par les outils numériques) et à restreindre leur accès à certains environnements physiques ne les aide pas à sortir, explorer, expérimenter…Lia Karsten, chercheuse en géographique urbaine à l’Université d’Amsterdam, parle ainsi de « génération siège arrière » pour désigner cet ensemble d’adolescents constamment transportés d’une activité tolérée et (très) organisée à une autre.
Plus fondamentalement, il est intéressant de considérer de plus près ce que recherchent les adolescents dans les espaces urbains. L’urbaniste Kevin Lynch, dans son ouvrage Growing Up in Cities (1977), s’est penché sur les adolescents de quatre villes à travers la planète pour comprendre pourquoi certains lieux les attirent plus que d’autres. Ses conclusions – un sentiment de sécurité et de liberté de mouvement, une communauté soudée et stable, des espaces verts à proximité pour l’exploration, le jeu et la compétition organisée – rejoignent justement ce que Fortnite propose.
Faut-il regretter, par ailleurs, la nature violente du jeu, qui implique d’éliminer les autres joueurs pour gagner ? Là encore il est intéressant d’écouter à ce sujet les témoignages de parents concernés : « Parfois, je me dis: « Devrais-je m’inquiéter ? » Mais les visuels sont brillants et sans effusion de sang, et la plupart du temps, les autres joueurs sont habillés en bonhomme en pain d’épice, en tomate, ou en pom-pom girl. Cela ressemble moins à de la violence militaire qu’à une partie de laser game. »
Mentionnons du reste cette caractéristique étonnante : lorsqu’un joueur est tué dans Fortnite, sa caméra se met à suivre le joueur qui l’a éliminé, et il devient alors un spectateur des progrès de cet autre joueur. « C’est bizarre parce que dans la plupart des jeux, quand quelqu’un te tue, tu es énervé. Mais dans ce jeu, tu finis par voir la personne, la suivre et tu commences à te mettre dans sa peau. Cela devient une expérience positive. Je joue depuis les années 1970 et je n’ai jamais vu un tel phénomène » témoigne ainsi le psychologue Frank Gaspill, spécialiste d’autisme, d’enfance et de technologie, et…fan de Fortnite.
Enfin, notons que contrairement à de nombreux jeux violents, Fortnite s’appuie sur plusieurs ressorts audacieux et bon enfant que sont « l’humour, le décalage, le sens de l’absurde, notamment » comme le relève Philippe Silberzahn, professeur d’innovation à l’EM Lyon. « Voici un jeu que les américains appellent “Shoot’em up” où, en gros, il faut tuer tout le monde, et qui semble bien primaire à l’observateur distrait. Mais dans le jeu, vous pouvez utiliser vos crédits pour acheter… une danse ! Au milieu de la fusillade, votre avatar fait une pause et danse. Cela a un succès fou auprès du public de joueurs, typiquement des garçons d’une dizaine d’années. » Autre exemple : « lors de l’anniversaire du jeu, les avatars se baladaient avec un sac à dos en forme… de paquet cadeau » ; ou encore, « il faut tuer un lama pour obtenir des objets utiles. »
« Fortnite est le nouveau réseau social »
In fine, Fortnite invite à changer de lunettes, en acceptant l’idée qu’explorer un monde virtuel entre amis peut constituer une sortie en tant que telle, peut favoriser l’expérimentation, la créativité, l’esprit de collaboration, et peut être une occasion de parler, rire, échanger avec ses proches (parfois éloignés géographiquement).
« Dans un monde où les médias sociaux sont devenus toxiques, nous nous demandions quel serait le prochain réseau social qui émergerait : Telegram, ou des groupes privés, ou un nouveau service ? Je pense qu’on l’a tous raté : Fortnite est le nouveau réseau social, qui se transforme en un substitut du monde réel » (Owen Williams).
Si d’autres jeux étaient déjà devenus par le passé de véritables communautés en ligne, lieux de rassemblement entre amis (World of Warcraft, Counter-Strike, etc.), le niveau atteint par Fortnite est inédit. En proposant un territoire riche à explorer, en permettant à chacun d’y jouer gratuitement sur n’importe quelle plateforme, il réussit là où SecondLife avait échoué il y a plus de dix ans.
« Fortnite est l’Instagram du jeu » (New York magazine)
Un signe spectaculaire de ce succès tient au fait que Fortnite est populaire non pas seulement auprès de joueurs actifs, mais aussi auprès de spectateurs du jeu. C’est du reste en cela que le terme d’e-sport revient souvent à son propos : comme pour les grands évènements sportifs, Fortnite attire des milliers et même des millions de spectateurs qui viennent regarder en direct ou en différé des affrontements de joueurs célèbres.
Le joueur espagnol Ruben Gundersen a par exemple réussi l’exploit d’attirer plus d’un million de personnes en direct lors d’un match de 3 heures. Ces chiffres à faire pâlir de nombreux acteurs du monde sportif lui-même conduisent les joueurs les plus suivis à devenir professionnels en monétisant leurs activités : Tyler Blevins, l’un des joueurs les plus suivis du jeu, génèrerait près d’1 million de dollars mensuels de revenus !
L’esport devient une affaire (très) sérieuse
C’est à Fortnite qu’Antoine Griezmann fait référence lorsqu’il effectue à l’été 2018 sa danse si particulière en finale de la Coupe du Monde, après avoir marqué contre la Croatie. L’esport faisant irruption au cœur de l’évènement footballistique par excellence : la scène est assez cocasse, mais surtout très révélatrice (d’autant plus que d’autres footballeurs professionnels font aussi aussi référence à Fortnite lors de leurs buts).
Fortnite est surtout le signe annonciateur d’une tendance encore seulement émergente aujourd’hui mais appelée à devenir très lourde demain : l’esport comme mouvement de fond, brassant non plus des millions mais bien des milliards de dollars, et changeant les règles du jeu des loisirs. « Nous sommes à la veille de l’émergence d’une nouvelle forme de divertissement » affirme Tim Sweeney, fondateur et CEO d’Epic Games.
Pour les joueurs habitués à cet univers, l’esport est bien sûr tout sauf un « signal faible » : cela fait des années qu’ils voient le secteur grandir, année après année. En dehors de certaines sphères, il reste néanmoins encore vu souvent comme un sujet mineur, appelé à le rester.
Il devrait pourtant aller ratisser bien au-delà de son supposé pré carré. Le visionnage de jeux vidéo en tant que contenus concurrents de programmes TV, vidéos et films connaît une croissance qui ne devrait que s’accélérer. Par le passé, le spectateur regardait la télévision ; aujourd’hui, les nouvelles générations regardent Netflix et YouTube ; les générations suivantes se tourneront vers les plateformes comme Twitch, leader actuel du streaming de compétitions d’esport.
C’est en tout cas le pronostic de l’investisseur Benedict Evans, qui souligne qu’il y a aujourd’hui d’ores et déjà plus de téléspectateurs d’esport que de téléspectateurs sur Netflix. L’esport est désormais un équivalent des sports les plus suivis aux US (football américain, basket, cricket, hockey sur glace) en nombre de téléspectateurs.
« Si vous considérez Fortnite comme un simple jeu vidéo, vous ratez la ‘big picture’. Prends garde, Disney : le succès sans précédent de Fortnite a autant d’importance pour le futur des médias que pour le secteur du jeu » (Fast Company).
Tout, ou presque, reste cependant encore à construire : les revenus du esport sont encore microscopiques par rapport à ceux des sports traditionnels. Epic Games et Twitch sont peut-être les Amazon et Google de cet immense secteur en devenir. Mais le marché, bien que déjà en forte croissance, reste encore un immense terrain à défricher. Fortnite n’en est que le premier avatar.
— Signaux Faibles n’a pas la science infuse —
Après chaque article, retrouvez par la suite une sélection de commentaires constructifs de lecteurs :
- L’article n’aborde pas le fait que c’est AWS [Amazon Web Service] qui a rendu ça possible. Auraient-ils pu faire sans ? Pourraient-ils en ressortir ? [Majore Pandore]
- Twitch avait été également racheté par Amazon en 2014. Au total, ce succès de Fornite est certes le succès d’Epic Games (qui est tout sauf un petit du jeu vidéo depuis de nombreuses années : la série des UT, des Gears of War) mais aussi celui d’Amazon. [Thomas Cartier]
- Il y a quand même des choses attribuées à Fortnite qui marchaient déjà avant : les achats cosmétiques (voir Valve avec CS:GO ou Blizzard avec Overwatch, entre autres) et la sociabilité avant le jeu, qui est la base des jeux en ligne (le § s’applique mot pour mot à WoW). Même si l’article évoque bien WoW, l’idée d’un tel décalage semble surfaite. Je tique vraiment sur la partie achats cosmétiques, Fortnite ne l’inaugure vraiment pas. C’est même plutôt un suiveur de ce point de vue, même si ça marche du tonnerre pour eux. (Guénaël)
- Excellent article qui donne le tournis et évoque d’autres succès, à d’autres échelles, de l’univers du libre (ex.: GitHub = Git + Third Place). Fortnite réunit tous les ingrédients de la disruption, voire de la transgression, sauf un… celui d’être libre.
L’article met bien l’accent sur la liberté et sur le fait que Fortnite serait le futur réseau social. Il y a bien 1 API officieuse mais seulement en lecture. On retombe dans le travers des plateformes qui captent plus de richesse qu’elles ne permettent d’en créer. Le réseau / plateforme qui permet de créer plus de richesses qu’il n’en capte c’est 1 concept de @timoreilly. Twitter faisait partie des rares plateformes à pouvoir revendiquer ce titre, mais c’est terminé. Bref, sur le long terme, seul le libre est viable. [Jérôme, Médecine Libre] - Mon point de questionnement est sur la manière de présenter l’eSport. En soi, puisqu’il cumule des dizaines de jeux, ça déforme la réalité que de le comparer aux chiffres de visionnage d’un sport ou un autre (aux US ou ailleurs). Ou bien il faudrait également accumuler tous les sports ! [DaCharrue]
- À rapprocher peut-être plus de la notion d’hyper-lieu de @MichelLussault que du tiers-lieu [Pierre Allée]
- C’est peut-être aussi porteur d’innovation pour le monde du travail. J’y vois plein de points communs avec le monde connecté des indépendants [Mom21]
- Fortnite surfe sur les leviers cibles du management en entreprise : diversité, dialogue, coopération, créativité, autonomie, prise de décision… et avec un business model performant en plus ! [La Cité du travail libéré]