Suite de l’épisode 2.
Acte 8
Masala revient désormais au jour-J. Celui où tout commence pour de bon. Narva, dans la nuit du 26 au 27 mars.
Le président américain est prévenu juste avant l’attaque par le directeur de la CIA. Celle-ci vient d’identifier l’imminence des mouvements russes. Une réunion de crise se monte avec son équipe rapprochée.
Il y est décidé, du moins à ce stade, d’éviter une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie, qui risquerait d’escalader. Les Etats-Unis ne risqueront pas une troisième guerre mondiale pour une petite ville estonienne, déclare le président.
Pour autant, il est bien sûr inenvisageable de ne pas réagir. Une action est envisagée dans la zone Baltique pour exercer une pression militaire sur la Russie.
« Il faut faire comprendre aux Russes que nous sommes prêts à toutes les éventualités », fait dire Masala à l’un des conseillers du Président. « Mais pour éviter que la Russie considère ce mouvement comme des préparatifs à une offensive générale, nous devons communiquer avec eux. Dans ce genre de situations, rien n’est plus dangereux que les erreurs d’interprétation ».
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1h30 plus tard, le PDG de la plus grande entreprise d’armement allemande, premier producteur européen de véhicules blindés et de blindés de combat, s’engouffre dans un jet pour rejoindre Berlin, où le chancelier discute de la situation avec son équipe. C’est un proche du chancelier, un ami de vingt ans. Quelques secondes après le décollage, un missile Stinger frappe l’appareil. Celui-ci s’écroule ensuite au sol et prend feu. L’identité des commanditaires de l’attentat n’est pas connue à ce stade. Elle fait cependant peu de doutes.
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Le 27 mars, au petit matin. Réunion à distance entre les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le constat est fait d’une situation opaque : nul n’a d’informations sur les intentions de la Russie. « Nous ne pouvons pas exclure que la Russie soit en train d’installer un blocus maritime autour des Etats Baltes », indique le Président américain.
Dans un tel cas de figure, prévient le secrétaire général de l’OTAN :
– Les unités Tier 1 de l’OTAN mettraient jusqu’à 10 jours pour atteindre la zone Baltique. On parle ici des 100 000 soldats à transférer sur les lieux pour former une première ligne de défense.
– L’OTAN serait forcée d’acheminer ses troupes uniquement par le corridor de Suwalki, ce qui les exposerait à un risque important d’attaques russes à partir de Kaliningrad ou de la Biélorussie.
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Ici il est important de faire une pause pour bien comprendre l’importance du corridor de Suwalki. C’est « un lieu ultrasensible en cas de conflit généralisé entre Moscou et les capitales européennes » comme l’indique Le Monde dans un reportage publié l’an dernier.

« Cette bande de terre de 65 kilomètres de long épouse la ligne de démarcation entre la Lituanie, au nord, et la Pologne, au sud, et est enserrée aux deux extrémités par l’exclave russe de Kaliningrad, à l’ouest, et la Biélorussie, à l’est. Il suffirait que la Russie et son alliée s’en emparent pour que l’accès terrestre aux pays baltes soit coupé ».
« C’est l’une des zones les plus exposées au risque de conflit en Europe, confirme au Monde Marek Swierczynski, analyste au centre Polityka Insight, à Varsovie. Bien sûr, l’OTAN dispose aussi d’une position militaire sur le territoire des Etats baltes, mais sans renforts venant du corridor de Suwalki, les défendre deviendrait probablement impossible. »
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Si l’OTAN ne veut pas franchir ce corridor, sa seule autre option serait de forcer le blocus naval de la Russie, reprend le secrétaire général de l’OTAN. Mais cela placerait alors directement l’OTAN en état de guerre avec la Russie.
Sans compter que percer ce blocus nécessite des unités maritimes ; or certaines d’entre elles sont actuellement employées en Méditerranée contre les migrations clandestines…
Au vu de cette situation, et après discussions, le Président américain achève la réunion avec ce message clair :
« Si nous n’avons pas d’indices concrets du fait qu’Obmantchikov veut conquérir encore plus de territoires, alors les États-Unis ne donneront pas leur accord au déclenchement de l’article 5. »
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Acte 9
A la même heure, réunion du Président russe avec ses proches conseillers. L’objectif : acter de la suite. Une ligne de conduite ressort de la discussion :
« Pour ne pas nous engager dans une vaste confrontation, à laquelle nos forces armées ne sont pas prêtes, nous devrions faire savoir à l’adversaire que nos objectifs sont limités. Que nous n’avons pas l’intention de provoquer l’OTAN en tant que telle. Mais pour éviter qu’il devine notre faiblesse et, en conséquence, éviter qu’il refuse de céder, nous avons dans le même temps besoin d’une stratégie qui le mette sous pression, qui lui fasse croire que s’il veut cette confrontation, nous ne reculerons pas. »
Tout est une question de psychologie, explique le chef de services secrets militaires :
« L’Occident cédera s’il croit qu’une réplique n’est possible qu’au prix d’une troisième guerre mondiale, mais qu’il existe en même temps une possibilité de l’éviter parce que nos objectifs sont limités. Car l’enjeu est finalement trop faible pour risquer une guerre mondiale ».
Il faut comprendre une chose, ajoute-t-il : « l’Occident se considère comme rationnel, et nous prend, nous, pour des irrationnels, des arriérés de l’émotion. Des fossiles impériaux qu’on peut croire capables de tout. C’est notre avantage. Ils croiront en notre schizophrénie parce qu’elle s’intègre dans l’image qu’ils ont de nous. »
Pour autant, « se fier à la communication publique serait risqué. Nous devrions d’abord passer par nos canaux officieux pour informer en confidence les chefs des gouvernements occidentaux que nous ne voulons certes pas le conflit, mais que nous ne le redoutons pas non plus.
Vous verrez : il y aura quantité de politiciens de haut rang qui arrangeront notre affaire et influenceront l’opinion publique occidentale en notre faveur. Ça a déjà bien fonctionné pour l’opération en Ukraine. »
Un autre participant ajoute : « L’Occident, ses élites et sa population ont peur des armes nucléaires, et c’est une peur irrationnelle. Nous l’avons vu pendant l’opération en Ukraine. Chaque fois que le président Poutine ou un membre de son entourage immédiat a brandi la menace de l’arme atomique, il a provoqué un effroi considérable en Europe de l’Ouest ; c’est ainsi que nos amis qui, dans les différents pays concernés, mettaient en garde contre une escalade, ont réussi à capter l’attention de l’opinion publique. Cela a entravé la politique de soutien que des politiciens comme Scholz et Biden apportaient à l’Ukraine.
Pour que nos menaces soient efficaces, il fallait qu’ils prennent au sérieux notre détermination à faire usage d’armes nucléaires. »
Au fil de la discussion, émerge l’idée de « créer encore plus de confusion » en trouvant une action limitée, inattendue pour l’OTAN, au cours de laquelle la Russie n’aurait pas à tirer sur les forces de l’OTAN, mais qui permettrait tout de même à la Russie de montrer au monde sa détermination.
« Où pourrions-nous toucher l’OTAN sans faire de gros efforts et sans provoquer de pertes, ni chez nous ni chez d’autres ? » interroge Obmantchikov.
L’idée d’une pénétration limitée dans le nord de la Finlande est vite rejetée : réalisable techniquement mais politiquement trop risquée.
La discussion se dirige plutôt vers l’idée de s’emparer d’une île inhabitée ou très peu habitée : « le Spitzberg [en mer du Groenland], par exemple, qui a accueilli deux colonies russes jusqu’en l’an 2000. Ou l’ile Hans, qui a été pendant des décennies un sujet de dissension entre le Danemark et le Canada avant d’être partagée entre les deux pays. Elle mesure à peine 1,3 kilomètre carré, n’est pas habitée et ne dispose d’aucune matière première connue ».
Ce rocher désert est situé entre le Canada et le Groenland. Sa prise serait certainement inattendue par l’OTAN, jugent les stratèges autour de la table, qui estiment qu’elle « apporterait une démonstration impressionnante de la capacité de projection de la marine russe ».
« Nous pourrions nous y rendre en sous-marin et y déposer quelques forces spéciales qui hisseraient le drapeau russe avant de redisparaître. Ce serait la mesure la plus efficace pour montrer notre détermination sans provoquer directement de réaction chez l’ennemi. »
L’idée est validée.
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Acte 10
QG de l’OTAN à Bruxelles, 27 mars à 14h. Réunion d’urgence pour prendre la température des différents Etats membres : comment évaluent-ils la situation ? Que prônent-ils ? Très vite, deux blocs apparaissent :
1. Les Européens du Centre et de l’Est, les autres Etats Baltes, et le Royaume Uni, appellent à « défendre chaque mètre carré du territoire de l’Alliance » : à défaut, « ce sera la fin de l’Alliance ». « Si nous ne pouvons pas nous reposer sur le fait que l’article 5 s’applique dans les cas graves, à quoi celle-ci sert-elle encore ? » interrogent-ils.
2. A l’inverse, les membres sud-européens plaident pour la prudence. « Nous n’avons pas encore assez d’informations pour porter un jugement définitif sur la situation » réagissent-ils, en appelant à d’abord collecter des informations supplémentaires sur les intentions et les mouvements militaires de la Russie.
A cela, le premier bloc oppose deux réponses : 1/ l’OTAN ne doit pas laisser ce test sans réaction, sous peine de perdre sa fonction centrale; 2/ il ne s’agit probablement que d’une première étape : d’autres agressions militaires sont à attendre.
Mais ces arguments peinent à convaincre les Etats réticents, chez qui l’emportent la crainte de déclencher une « troisième guerre mondiale » par « des actions irréfléchies », et qui préfèrent éviter tout risque d’escalade avec la Russie.
C’est, en particulier, le cas de la France, présidée par un membre du RN depuis l’année précédente.
La réunion s’achève sans décision d’orientation stratégique. A ce stade il est vrai, il s’agissait seulement d’une prise de température…Mais l’heure tourne. L’OTAN va devoir rapidement trancher. Et faire connaître officiellement sa position, d’une manière ou d’une autre.
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Au même moment, à 6000 km de là, un diplomate russe de haut niveau entre discrètement à la Maison Blanche pour rencontrer le conseiller à la Sécurité nationale du président américain.
Sa mission : faire savoir d’une part que la Russie ne veut certes pas de guerre avec l’OTAN, mais qu’elle y est prête s’il le faut, d’autre part que la Russie n’a pas d’autres ambitions que de contrôler la ville de Narva et de l’intégrer à son territoire.
A l’issue de la réunion, le conseiller américain transmet par différents canaux le message que la Russie envoie, en substance, à l’OTAN : si les choses tournent mal, la Russie est prête à tout.
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Quelques heures plus tard, comme prévu, la Russie plante son drapeau sur l’île Hans, entre le Canada et le Groenland.
Mais l’intérêt de la manœuvre n’est pas seulement ici. Les forces spéciales mobilisées se sont déplacées dans un sous-marin équipé de missiles à têtes nucléaires. De quoi déclencher les systèmes d’alerte américains au Groenland lors de sa sortie en surface. L’opération est trop rapide pour qu’une unité de l’OTAN puisse se mettre en route à temps. Mais, comme le commente Masala :
« Car ce n’est pas tous les jours qu’un sous-marin susceptible d’être équipé de 16 missiles intercontinentaux de type Boulava surgit devant la côte d’un État membre de l’OTAN. Le fait que chacun de ces missiles ait une portée de plus de 8 000 kilomètres et puisse être équipé de 6 à 10 ogives nucléaires déclenche toutes les alertes. Mais c’est précisément le but de l’opération. »
Le message envoyé est clair :
« Cela signifie qu’à compter de ce jour, partout et n’importe quand, l’OTAN doit s’attendre à voir surgir en surface des sous-marins nucléaires russes. »